Visioconférence : les femmes peinent à se faire entendre

Associée directrice du bureau de Québec du cabinet juridique Norton Rose Fulbright

Auteure et professeure de littérature à l’UQAM, spécialisée en théories féministes et postcoloniales

Présidente de la Jeune Chambre de commerce de Montréal et directrice régionale au Groupe Banque TD

Animatrice et coach en prise de parole

Les femmes prennent moins facilement la parole en public que les hommes. De plus, lorsqu’elles le font, elles sont très souvent interrompues. Pas de quoi motiver la prise de parole devant leurs collègues… Ce phénomène bien connu dans le monde du travail traditionnel semble se confirmer lors des réunions virtuelles. Explications.

Un an de télétravail plus tard, le constat est sans appel : 45 % des chefs d’entreprise américaines estiment qu’elles ont du mal à s’exprimer lors des réunions virtuelles. C’est le résultat d’un sondage effectué en juin 2020 pour Catalyst, un organisme américain dévoué à l’avancement professionnel des femmes.

Le télétravail aurait en fait multiplié les obstacles invisibles qu’elles doivent surmonter, notamment les préjugés inconscients lors des réunions.

Encore plus complexe dans le monde virtuel

Parmi les raisons qui expliqueraient ce phénomène, on compte la charge mentale. Si le télétravail présente des avantages, il peut également accroître la charge domestique, qui pèse encore majoritairement sur les femmes.

Autre caractéristique aggravante des réunions virtuelles : le contact par écran interposé freine la perception du langage corporel. En s’affirmant moins clairement, les femmes ont moins de visibilité. En visioconférence, il semble incontournable de s’imposer dans la discussion plutôt que d’attendre que l’animateur comprenne au langage non verbal des participants qu’ils veulent prendre la parole. Demander le droit de parole et respecter le droit de parole d’autrui sont de bonnes pratiques qui permettent aux femmes de s’exprimer et de s’affirmer.

« Le contexte de télétravail complexifie les interactions », en partie à cause de l’absence de rencontres informelles qui aident à briser les stéréotypes lors du travail en présentiel, affirme Olga Farman, associée directrice du bureau de Québec du cabinet juridique Norton Rose Fulbright.

Une réalité bien connue

La difficulté des femmes à prendre la parole en public est un phénomène connu depuis bien longtemps. Déjà en 2012, une étude de l’Université Brigham Young montrait que 75 % du temps de parole en réunion est occupé par les hommes.

Il a aussi été prouvé que les femmes sont plus souvent interrompues quand elles osent parler durant les réunions. Le « manterrupting » a été dénoncé maintes fois. Il rejoint le « mansplaining », un concept issu des travaux de l’essayiste féministe Rebecca Solnit qui prend forme lorsqu’un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, sur un ton potentiellement paternaliste ou condescendant. Cette auteure constate dans un texte phare à quel point l’expertise, les opinions et la parole des femmes sont occultées. Selon elle, la réserve qu’observent les femmes découle du sentiment « que ce monde n’est pas le leur ».

Caroline Codsi, présidente de l’organisme La gouvernance au féminin, mentionne constater encore aujourd’hui des situations où l’opinion émise par une femme passe inaperçue, mais devient LA solution à adopter lorsqu’elle est reprise par un homme.

Des racines dans le modèle social

Il s’agit d’un problème social qui trouverait ses racines dans la petite enfance : les garçons sont encouragés à s’exprimer tandis que le calme et la discrétion sont valorisés chez les filles C’est ainsi que, « de fil en aiguille, le garçon va construire la légitimité de sa parole », estime Martine Delvaux, auteure et professeure de littérature à l’UQAM, spécialisée en théories féministes et postcoloniales.

« Les femmes n’ont pas de problème inné avec la parole. Ce problème est social, systémique. C’est un des lieux où se manifeste le sexisme », poursuit-elle, regrettant qu’« on ne pense pas assez au pouvoir qui s’exerce par la prise de parole ».

La solution se situe donc en partie en amont. « Les enseignant.e.s doivent faire attention à leurs biais et veiller à distribuer de manière équitable et diversifiée le droit de parole », insiste Martine Delvaux.

Dans l’univers du travail, il est important que la personne qui anime la réunion veille à « trouver différentes techniques pour briser la glace avant de plonger dans le vif du sujet » afin de favoriser la participation des femmes présentes autour de la table, même si elle est virtuelle, souligne Julie Dionne, animatrice et coach en prise de parole.

Leadership

En effet, « ça ne sert à rien d’avoir 50 % de femmes autour d’une table si elles ne s’expriment pas », note Olga Farman, qui est aussi une des leaders de L’effet A, une initiative visant à propulser les femmes.

Il est donc essentiel de sensibiliser les gestionnaires à l’importance de la diversité de la parole, d’autant plus que « la diversité d’une organisation la rend plus riche, non seulement en termes de qualité de vie des employés et de leur loyauté, mais aussi en termes de performance et de retombées financières », souligne Olga Farman.

Déborah Cherenfant, présidente de la Jeune Chambre de commerce de Montréal et directrice régionale au Groupe Banque TD, souligne que « le leadership se valide aussi en confirmant son influence sur les autres, en prenant la parole publiquement ».

Si, dans l’imaginaire collectif, le leadership et l’influence sont masculins, « c’est en train de changer, rassure-t-elle. Dans la réflexion sur la relance économique, on parle beaucoup de féminiser le leadership pour le rendre plus bienveillant et plus inclusif, et ainsi permettre à d’autres voix de s’exprimer et de dessiner le futur de notre monde » après la pandémie.

Les bonnes pratiques de gouvernance visent l’inclusion de tous les employés et l’adaptation à la diversité. Il pourrait donc être pertinent d’ajouter un passage sur la prise de parole des femmes lors des réunions virtuelles dans la politique de télétravail de l’entreprise. Il s’agit d’un bon début pour changer les habitudes de gestion dans un mode de travail à distance.

Des astuces pour retrouver sa voix

Voici des conseils de Julie Dionne, animatrice et coach en prise de parole, pour celles qui ont du mal à s’exprimer lors des réunions :

  • S’entraîner à enregistrer les expériences positives que l’on vit. « On est gêné parce qu’on a vécu des expériences négatives. On se dit alors : “Ça ne sert à rien de m’exprimer, puisqu’on ne m’écoutera pas…” Il faut aussi se permettre de vivre des succès. »
  • Se visualiser dans la réunion en songeant aux succès que l’on a vécus. Il faut se dire qu’il est possible de les reproduire.
  • S’accorder de l’importance plutôt que de toujours penser que les autres ont des choses plus intéressantes à exprimer.
  • Communiquer à l’avance avec le responsable de la réunion pour souligner qu’on a un point précis à soulever. Il veillera alors à vous donner un temps de parole.

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