Le télétravail est-il là pour de bon?
Alors que la crise sanitaire a propulsé de nombreuses entreprises en mode télétravail, que restera-t-il de ces changements après la pandémie? Cette forme d’organisation du travail laissera-t-elle des traces à long terme? S’il est difficile de prédire l’avenir, certaines tendances se dessinent.
Unilever l’a déjà annoncé : elle adoptera une formule de travail hybride après la pandémie. D’autres multinationales l’envisagent aussi. Plus près de nous, le Mouvement Desjardins évalue la possibilité d’alléger son parc immobilier et de maintenir une part de travail à la maison.
L’institution financière ne serait pas la seule : près du quart des entreprises québécoises pensent conserver au moins 10 % de leurs effectifs en télétravail après la pandémie, selon Statistique Canada.
La pandémie aura servi de grand laboratoire pour le télétravail. Et l’expérience semble avoir plu tant aux travailleurs qu’aux gestionnaires.
Le télétravail apprécié par les employés
Plusieurs employeurs qui se montraient parfois frileux relativement à cette possibilité n’ont eu d’autres choix que de mettre cette formule à l’essai. Ainsi, alors que le télétravail ne concernait que 13 % de la main-d’œuvre en 2018, près de 40 % des salariés canadiens ont déclaré avoir adopté ce mode de travail depuis le début de la crise, selon Statistique Canada.
Une expérience à grande échelle qui a permis de constater que la formule plaît aux travailleurs, selon une recherche menée par la professeure à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, Tania Saba, et son équipe auprès de 6 750 personnes, pour la plupart au Québec.
Une majorité des répondants (51 %) déclarent être d’accord pour maintenir le télétravail après la crise si on leur donnait le droit de le faire. La proportion de salariés qui se disent tout à fait d’accord avec cette affirmation a même augmenté avec le temps, montre l’étude qui s’est déroulée du 4 avril au 30 juillet 2020.
Bon rendement des travailleurs en télétravail
Le télétravail aurait même une influence favorable sur le rendement des employés, mentionne Tania Saba. Selon cette recherche :
- 40 % des répondants se disent plus productifs depuis qu’ils sont en télétravail;
- 36 % estiment mieux réaliser leur travail;
- 62 % pensent avoir réussi à concilier vie professionnelle et personnelle dans le contexte.
Même les gestionnaires de l’échantillon, plus réticents au départ, ont constaté que la formule fonctionnait mieux qu’ils ne l’auraient cru, ajoute Tania Saba, qui est également fondatrice et titulaire de la Chaire BMO Diversité et gouvernance. En effet, s’ils étaient seulement 35 % à vouloir poursuivre en télétravail à la mi-avril, cette proportion a augmenté à 52 % à la mi-juin pour atteindre 70 % en juillet, confirme l’étude.
L’instauration d’une formule hybride
Au fil des mois, les entreprises ont pu essayer différentes formules et en tirer des leçons.
Tania Saba cite en exemple l’intégration des nouveaux employés pendant la crise, qui a souvent dû se faire à distance. En procédant ainsi, les employeurs ont réalisé que certains aspects de l’accueil, par exemple le fait de pouvoir joindre son mentor en tout temps au téléphone ou d’offrir certaines formations techniques en ligne, fonctionnaient très bien en mode télétravail.
« Les organisations ont pu revoir leurs procédés et aménager leurs tâches pour devenir compatibles avec le travail à distance, observe-t-elle. Cela a favorisé des apprentissages intéressants et des acquis, autant chez les employeurs que chez les travailleurs. »
Ainsi, les employeurs ont tout à gagner à tabler sur ces apprentissages pour offrir des conditions de travail plus flexibles dans un monde post-pandémique. « Je ne vois pas pourquoi on reviendrait totalement en arrière pour faire comme si rien ne s’était passé », lance la spécialiste, d’autant plus que les employés comme les organisations y trouvent leur compte.
« Bien sûr, on ne parle pas de travailleurs complètement isolés comme ce fut le cas pendant le confinement, mais plutôt d’une formule hybride qui permettrait de combiner du temps au bureau et à distance », poursuit l’experte.
Tirer profit du télétravail
Pour tirer le maximum de cette nouvelle organisation du travail, une réflexion s’impose au-delà de l’horaire. Il faut plutôt se demander ce qu’il est pertinent d’exécuter dans les locaux de l’organisation ou à distance, explique Tania Saba. Par exemple, tout ce qui demande concentration et autonomie pourrait s’effectuer de la maison. « Le temps au bureau pourrait quant à lui être voué aux projets collectifs, aux activités de consolidation d’équipe ou aux tâches plus créatives », analyse-t-elle.
Pour en avoir le cœur net, la chercheuse lance ces jours-ci une nouvelle étude qui permettra notamment de décortiquer toutes les tâches reliées à un emploi et de vérifier si elles sont compatibles avec le télétravail. La recherche s’attardera également sur d’autres aspects, comme les relations (entre collègues ou avec son organisation). Un élément crucial pour maintenir le sentiment d’appartenance chez les salariés.
« C’est un peu comme si, lors de la première saison, nous avions analysé si les gens allaient aimer le télétravail. Maintenant, dans cette deuxième portion, on se demande comment aider les employeurs à rendre l’organisation du travail la plus optimale possible », illustre-t-elle. Une histoire à suivre!