Comment surveiller ses employés sans devenir Big Brother?

Associée et directrice de pratique chez Viaconseil

Le recours accru au télétravail durant la pandémie a engendré de nouveaux défis pour les employés, mais aussi pour les gestionnaires. Quelles sont les balises pour ces derniers dans un contexte où vies personnelle et professionnelle s’entrecroisent si intensément ?

Tout employé a un devoir de loyauté envers son employeur et doit livrer la prestation de travail pour laquelle il a été engagé. Inversement, un supérieur détient un droit de gérance et doit veiller à ce que le travail soit fait adéquatement. En contexte de télétravail, ces devoirs et responsabilités sont toujours en vigueur.

Or, du côté des gestionnaires, les mesures de surveillance doivent évidemment respecter les préceptes de la Charte des droits et libertés de la personne, et ce, malgré les difficultés qui émanent de la frontière encore plus floue entre la vie privée et la vie professionnelle. Caroline Maranda, associée et directrice de pratique chez Viaconseil, firme-conseil multiservice en gestion des ressources humaines et rémunération globale, nous aide à y voir plus clair.

Question : Quels sont les éléments qui contribuent au succès du télétravail et, de ce fait, facilitent la supervision ?

Caroline Maranda : Pour que le télétravail fonctionne bien, il doit y avoir au départ une notion de confiance. Il faut que les attentes et les objectifs soient clairs et ramener la supervision vers des éléments plus mesurables. Par exemple : un gestionnaire pourrait indiquer à son commis aux comptes fournisseurs à quelle fréquence il s’attend à ce que les factures soient traitées et qu’un courriel récapitulatif lui soit envoyé tous les lundis.

Discuter avec nos équipes pour s’entendre sur un horaire de travail est un autre point essentiel. Les gestionnaires doivent faire preuve de souplesse, mais ils peuvent quand même imposer un horaire minimum à respecter, par exemple que l’employé soit disponible entre 9 h et 15 h.

C’est important aussi de renforcer l’utilisation des politiques de congés, de maladies ou de vacances, pour que les employés le signalent lorsque nécessaire.

Question : Quels moyens raisonnables un gestionnaire peut-il mettre en place pour superviser le travail de ses employés ?

CM : Déjà, on peut commencer par la base, soit des rencontres de suivi, avoir un point de contact avec chacun des membres de son équipe au moins une fois par semaine. Il peut aussi s’avérer intéressant de mettre en place un système de gestion de projets ou de tâches de façon à suivre facilement l’évolution et les échéanciers. Il existe plusieurs applications à cet effet. Toutefois, tout cela doit être adapté au niveau d’autonomie de l’employé.

Finalement, il y a aussi des moyens plus coercitifs que l’on peut mettre en place, tel que demander à nos employés de remplir une feuille de temps ou de tâches hebdomadaires. Bien que ça pourrait laisser croire à un manque de confiance à leur égard, ce n’est pas illégal et ça peut s’avérer essentiel dans certains cas. On peut aussi demander aux gens de nous mettre en copie conforme sur certains envois courriels ou communications pour voir ce qui se fait. Les environnements infonuagiques permettent aussi de constater si des employés ont modifié des documents et à quelle heure.

Les organisations peuvent aussi prendre des mesures plus proactives et mesurer le niveau d’engagement grâce à des applications telles qu’Officevibe, Amélio ou Sparkbay. Parfois, à travers celles-ci, on peut déceler des problématiques et réagir rapidement.

Question : Qu’est-ce qui pourrait être jugé abusif, voire illégal, comme mesure ?

CM : Au bureau comme en télétravail, il est important de choisir les moyens les moins intrusifs pour s’acquitter de notre tâche de supervision en tant que gestionnaire, afin de préserver le droit à la vie privée des employés.

Toutefois, certains moyens pourraient être jugés acceptables si l’organisation a des motifs sérieux de remettre en question le comportement d’un employé. Par exemple, si l’on suspecte du vol de temps, il pourrait être justifié d’employer un logiciel permettant de surveiller les courriels. Cependant, cela devrait être fait sur une courte période, à moins que le ou les employés n’en soient informés au préalable. Il est important de se rappeler que des mesures exceptionnelles doivent être appliquées seulement s’il y a des motifs raisonnables.

Question : Est-ce qu’une supervision peut être jugée satisfaisante si elle se fait seulement par courriel et clavardage ?

CM : Au-delà de gérer la performance, la supervision de l’employeur sert aussi à remplir d’autres fonctions, dont combler les trois grands besoins psychologiques fondamentaux des employés, c’est-à-dire : le besoin d’autonomie (pouvoir décisionnel), le besoin de compétences (sentir que l’on est soutenu et apprécié) et le sentiment d’appartenance (des occasions pour socialiser, rire, discuter, sentir que nos collègues et gestionnaires sont disponibles pour nous). C’est pourquoi je ne crois pas que le clavardage ou les courriels puissent remplir l’ensemble de ces besoins.

En résumé, pour la directrice de pratique Caroline Maranda, il est indéniable que le succès du télétravail et de la supervision de celui-ci passe notamment par la communication, mais aussi par la création de processus clairs et documentés afin que les équipes aient des références pour performer adéquatement. Ce qui se transmettait de manière plus naturelle hier doit aujourd’hui se trouver par écrit et être accessible. Et si les temps changent, les manières de fonctionner doivent aussi faire l’objet de modifications afin que les entreprises soient en mesure de mieux naviguer dans l’air du temps.

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