L’IA, opportunités ou menaces : que dit la loi?

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9 juin 2023

Soleïca Monnier est avocate au sein du groupe Vie privée et cybersécurité de Fasken. Elle conseille les clients relativement à l’application des lois sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé et public, notamment dans l’industrie de la publicité programmatique.

Rhonda Grintuch est avocate au sein du groupe Travail, emploi et droits de la personne. Elle fournit des conseils stratégiques aux employeurs concernant l’embauche, la mise à pied et le congédiement d’employés, les droits de la personne, ainsi que les normes du travail, tant au niveau fédéral que provincial.

Il n’y a pas une journée qui passe sans que l’on entende parler de l’intelligence artificielle (IA). Pour une majorité de compagnies, la question n’est pas de savoir « si », mais « quand » l’intégration de nouvelles fonctionnalités alimentées par l’IA va avoir lieu. Mais attention, il ne faut pas se précipiter avant de s’être diligemment renseigné·e!

Production, marketing, administration… pratiquement tous les services d’une entreprise peuvent désormais bénéficier d’outils technologiques employant l’intelligence artificielle. Les ressources humaines n’y font pas exception.

De multiples possibilités

Déjà, plusieurs organisations ont su tirer parti des avantages de l’IA, comme l’indiquent notamment les auteur·e·s Steve Jacob, Seima Souissi et Nicolas Patenaude de la Chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique. Dans la publication Intelligence artificielle et transformation des métiers en gestion de ressources humaines, le trio explique : « Les technologies de l’IA sont de plus en plus utilisées pour automatiser le processus de recrutement, lequel commence par l’examen et la présélection des curriculums vitæ (CV), suivis par la réalisation d’entretiens d’embauche, puis la sélection du candidat le plus approprié pour un poste ».

L’emploi d’agents conversationnels (chatbots), d’algorithmes et d’autres logiciels permet également de déléguer en partie ou en entier d’autres tâches prises en charge par les ressources humaines. On a qu’à penser à l’accompagnement, à la gestion ou même à l’évaluation de la performance du personnel. À cet effet, il existe des logiciels alimentés par l’IA capables de mesurer le travail d’une personne en se basant sur l’atteinte de ses objectifs de performance et son comportement capté par une multitude d’appareils intelligents.

Les limites juridiques de l’utilisation de l’intelligence artificielle

Or, dans ce rapport, les auteur·e·s relaient que « même si l’évaluation et la surveillance de l’activité des travailleuses et travailleurs existent depuis longtemps dans les milieux professionnels, certains estiment que l’arrivée du numérique et de l’IA a accentué le phénomène et a favorisé un contrôle excessif des employé·e·s, parfois sans leur consentement (Yano, 2017). (Certaines pratiques) sont également perçues comme une forme d’atteinte à la vie privée des personnes ».

Ainsi, aussi merveilleuses que semblent les avenues qui se dessinent avec l’IA, il est important pour les propriétaires d’entreprise et les gestionnaires de comprendre les limites juridiques de cette technologie.

« Les gestionnaires doivent réfléchir à deux fois avant d’utiliser des systèmes d’IA dans le cadre de l’exploitation de leur entreprise. Par exemple, selon la situation, si des renseignements personnels concernant des candidat·e·s à un emploi, des membres du personnel, des responsables, des dirigeant·e·s ou des client·e·s sont utilisés dans le cadre d’un tel système, il sera judicieux de réaliser une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (ÉFVP) pour vérifier la légalité du projet et ses impacts sur les individus concernés. Ce processus est essentiel dès le début du projet, c’est-à-dire dès sa conceptualisation, et doit être constamment mis à jour au fil de son évolution », explique Me Soleïca Monnier, avocate en protection des renseignements personnels et cybersécurité.

Prudence et transparence pour la gestion automatisée des ressources humaines

S’il n’existe pas à proprement dit une loi québécoise sur l’intelligence artificielle, il n’en demeure pas moins que différentes règles juridiques peuvent s’appliquer selon les secteurs touchés. « Plusieurs obligations particulières seront à remplir selon les circonstances. Mais il y a actuellement un manque de clarté par rapport à l’application de ces obligations à un objet technologique aussi complexe et inédit que l’IA, considérant la quasi-absence de décisions au Québec sur le sujet et le manque d’explicabilité souvent reproché aux systèmes d’IA. L’IA est une “boîte noire”, c’est-à-dire qu’on ne sait pas toujours comment le système arrive à la décision ou au résultat final (output) », mentionne Me Monnier.

Pour illustrer son propos, l’avocate cite en exemple l’article 12.1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé qui entrera en vigueur le 25 septembre prochain.

« Selon cet article, une entreprise devra informer toute personne visée par une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé (sans intervention humaine), via des outils d’IA par exemple, de cette décision au plus tard au moment de ladite décision et lui donner l’occasion de présenter ses observations pour réviser la décision. À sa demande, la personne visée par la décision devra être informée des renseignements personnels qui ont été utilisés pour rendre la décision, des raisons ainsi que des principaux facteurs et paramètres ayant mené à la décision, et pourra même demander à faire rectifier les renseignements utilisés pour rendre la décision », indique Me Monnier.

Devant un tel casse-tête, comment employer l’IA et ses systèmes tout en remplissant ses obligations juridiques? Me Rhonda Grintuch, avocate en droit du travail, recommande aux organisations de se doter de politiques de gouvernance et d’y énoncer plus clairement les attentes de chaque partie prenante relatives à l’utilisation de ces systèmes. « Elles pourraient mettre en place des formations pour les employé·e·s et prévoir des sanctions disciplinaires qui seraient appliquées advenant une contravention aux lignes de conduite énoncées par l’organisation dans ces politiques », cite en exemple l’avocate.

En somme, les propriétaires d’entreprise et gestionnaires devront faire preuve de prudence, de transparence et de proactivité en ce qui a trait à l’utilisation de l’intelligence artificielle.

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