Gérer à distance vs. gérer la distance : comment réduire les distances psychologiques?

Éric Brunelle est professeur titulaire en management à HEC Montréal.

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Bien que le télétravail se soit sensiblement développé depuis les années 2010, rien n’aurait pu préparer les entreprises au raz-de-marée qui allait les frapper en mars 2020. Dans la hâte d’organiser leurs équipes afin qu’elles puissent être rapidement productives à distance, des gestionnaires ont cependant négligé certains aspects du télétravail, notamment celui de la distance psychologique.

Distance physique vs. distance psychologique

La distance physique est mesurable. C’est la « distance » prise en son sens littéral, qu’on qualifie à l’aide d’unités de mesure : mètres, kilomètres, pâtés de maisons, etc.

La distance psychologique exprime quant à elle une perception, un sentiment. On se « sent » proche ou loin de quelqu’un.

Et lorsqu’il est question d’équipes de travail, « on a besoin de faire en sorte que les gens se sentent suffisamment proches pour être capables de sentir qu’ils sont en relation, qu’ils peuvent construire leur équipe », explique Éric Brunelle, directeur du pôle Sports et professeur titulaire au département de management de HEC Montréal.

Mais la distance physique imposée par le télétravail tend à compliquer les rapprochements psychologiques, qui se font plus naturellement en présentiel, entre autres dans des contextes informels. Pourtant, Éric Brunelle est catégorique : « gérer l’espace physique est important, mais le vrai nerf de la guerre, c’est d’apprendre à gérer cette perception, cette distance psychologique ».

Les deux enjeux de la gestion à distance

Certains enjeux liés à la gestion des équipes à distance sont particulièrement sensibles à la question du sentiment de proximité.

Le sentiment de contrôle

La notion de contrôle se trouve au cœur des questionnements inévitables lorsqu’on gère des équipes à distance. Impossible, comme gestionnaire, de savoir tout ce qui se passe chez ses employé·e·s, qu’il s’agisse de processus ou de comportements. Pour surmonter ce problème, on privilégie une gestion axée sur l’évaluation des performances et des livrables.

Ce mode de fonctionnement exige des gestionnaires qu’ils·elles modifient leur approche traditionnelle afin de permettre à l’employé·e de développer son sens des responsabilités, sa confiance et son autonomie. D’où l’importance de créer et de maintenir un fort sentiment de proximité qui, selon certaines recherches colligées par Éric Brunelle, « favorise [notamment] l’émergence d’un sentiment de confiance ».

La communication

« Ce qui est difficile à saisir dans la communication, explique Éric Brunelle, c’est que lorsqu’on communique, ce n’est pas ce qu’on dit qui est important mais bien ce que les autres vont comprendre ».

Si cette réflexion peut aussi s’appliquer aux communications en présentiel, les messages qui passent uniquement par les technologies sont plus susceptibles de souffrir d’un manque d’informations – soit non verbales soit simplement complémentaires – dû à l’insuffisance de signes physiques ou d’occasions informelles où achever une conversation. Ce qui peut mener à des incompréhensions, à des erreurs d’interprétation, voire des situations problématiques.

Mais le sentiment de proximité contribue également à faciliter les échanges et la communication.

Deux pratiques clés pour se rapprocher

Voici deux pratiques permettant à la fois de réduire les distances psychologiques entre les membres d’une équipe travaillant à distance et de renforcer les sentiments de proximité.

La socialisation et l’informel

Les gestionnaires doivent s’assurer que l’ensemble de leur équipe puisse interagir dans des cadres autres que celui du travail.

« Dans les organisations, la socialisation est souvent vue comme une perte. On perd du temps, de l’argent. Mais non, c’est un investissement! Quand les gens se connaissent mieux, ils communiquent mieux. Il y a moins de conflits, et ils les résolvent plus vite. Et ils sont plus efficaces à trouver des solutions, pour amoindrir les impacts de mauvais processus, par exemple. »

Mais justement, par quels moyens peut-on recréer l’informel et les moments de socialisation lorsqu’on travaille tous·tes à distance?

Le chercheur n’a pas de réponse toute faite, mais il a un message à propos de l’informel : « il faut apprendre à le provoquer et à faire confiance aux équipes : elles aussi ont des idées pour en créer. C’est fascinant [d’entendre] les histoires quand on fait l’exercice. Les solutions originales qui émergent de là! »

Un code de vie

Une charte du travail à distance, ou un « code de vie » selon la formule privilégiée par Éric Brunelle, est un document écrit qui sert à baliser les actions et les comportements des membres d’une équipe selon les valeurs qui l’animent.

Elle contient la définition des valeurs adoptées par l’équipe, les rôles et responsabilités des membres, ainsi que les moyens concrets permettant à ceux-ci de travailler et vivre ensemble de façon agréable et respectueuse. C’est dans cette charte, par exemple, que l’on trouverait des indications claires concernant les heures permises pour l’envoi de courriels aux collègues.

Idéalement, le code de vie est rédigé par l’ensemble de l’équipe puisque l’exercice lui-même est bénéfique. « Parce qu’on a découvert que le fait qu’il y ait un moment dans lequel on va avoir un échange, où chacun va pouvoir contribuer à cette réflexion, c’est plus précieux que le fameux code en soi ».

D’ailleurs, Éric Brunelle souligne l’importance de revisiter cette charte régulièrement.

« On a réalisé que le simple fait d’avoir une plage horaire pour parler de comment on vit le télétravail rend tout le monde plus sensible à l’autre. Plus sensible à l’importance de l’équipe, à vivre le télétravail. Mon impression, c’est que cet outil devient un prétexte pour réduire la distance psychologique et favoriser les rapprochements ».

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