Ergonomie en télétravail : qui est responsable?
L’importance de travailler avec de l’équipement convenable et dans un environnement sécuritaire est reconnue depuis longtemps pour tous les travailleurs. Et en général, tant les gestionnaires que les travailleurs sont conscients que l’ergonomie peut aider à améliorer les conditions de travail et à diminuer les risques de développer divers problèmes de santé. Mais qu’en est-il lorsque l’employé exerce ses fonctions à partir de son domicile? Qui est responsable de ses installations et de son organisation?
Francine Legault, avocate-conseil chez Norton Rose Fulbright, souligne d’abord que les obligations des employeurs et des employés en matière de santé et de sécurité au travail sont partagées, mais sans commune mesure. Les responsabilités de l’employeur entraînent des conséquences beaucoup plus importantes en cas de manquement, pouvant aller jusqu’à une plainte de nature pénale par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Les responsabilités de l’employé
Les obligations du travailleur se trouvent à l’article 49 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). Celui-ci stipule notamment, aux alinéas 2 et 5, que le travailleur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité, et son intégrité physique, et participer à l’identification et à l’élimination des risques. Il a donc la responsabilité de « s’assurer de prendre certaines mesures pour faire en sorte que son environnement de travail soit convenable et qu’il ne compromette pas sa santé », précise Francine Legault, ajoutant que peu importe si le télétravail est volontaire ou imposé, « cela ne change rien au fait que le travailleur a tout de même des obligations face à sa propre santé. »
Les responsabilités de l’employeur
De façon générale, les obligations de l’employeur se trouvent dans les dispositions prévues à l’article 51 de la LSST. Et en matière de télétravail, elles contiennent deux « voies » par lesquelles les responsabilités de l’employeur peuvent être établies.
La notion d’établissement
La première passe par l’alinéa 1 de l’article 51, qui oblige l’employeur à « s’assurer que les établissements sur lesquels il a autorité sont équipés et aménagés de façon à assurer la protection du travailleur ».
Il est en effet possible, dans certaines circonstances particulières, – et c’était le cas même avant la pandémie – de considérer le domicile d’un employé comme un établissement « géré » par l’employeur, avec les obligations que cela comporte de sa part. « Est-ce que l’on pourrait, dans un contexte de télétravail, considérer le domicile au même titre qu’un établissement? Cela vaudrait la rédaction d’un article en soi », juge l’avocate, qui note tout de même que dans son projet de loi sur la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail, « le législateur commence à élargir de plus en plus cette notion d’établissement ».
La notion d’organisation
Si le domicile d’un télétravailleur n’est pas considéré comme l’établissement d’un employeur, cela n’exonère en rien ce dernier de ses obligations. Car il y a d’autres dispositions à l’article 51 qui dit entre autres à l’alinéa 3, que l’employeur doit « s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur. » « Donc, même si les responsabilités de l’employeur n’entrent pas spécifiquement sous le vocable de la notion d’établissement, on pourrait très certainement envisager ses responsabilités sous l’angle de l’organisation du travail », affirme Francine Legault.
L’étendue des obligations de l’employeur
Sur le plan de l’ergonomie, l’employeur a certainement l’obligation de fournir de l’équipement adéquat à son employé (article 51, alinéa 11), « mais cela pourrait aller jusqu’à lui fournir un mobilier », indique Francine Legault, qui rappelle que ce type d’arrangement devrait être accompagné préalablement d’une bonne évaluation des lieux. Et pour éviter les questions de droit à la vie privée que pourrait soulever la visite d’une personne spécialisée en ergonomie au domicile de l’employé, elle suggère plutôt d’utiliser des photographies – du poste de travail, de l’équipement, de la position du travailleur sous tous les angles, etc. –, et de conserver celles-ci dans le dossier du travailleur pour fins de référence.
Idéalement, les détails concernant les questions d’ergonomie devraient être intégrés à un programme ou une politique de télétravail, ce qui permet d’abord de s’assurer de bien informer et former les employés sur cette question (une autre obligation de l’employeur, alinéa 9), et d’avoir un plan de suivi et d’intervention.
En cas de réclamation
Dans le cas où un employé en télétravail ferait une réclamation à propos d’un problème relié à l’ergonomie, qu’il s’agisse d’un problème musculo-squelettique ou même de santé mentale, « la légitimité de cette réclamation demeurera toujours une question de preuve. Toutefois, les présomptions d’accident de travail ou de maladie professionnelle s’appliqueront quand même », explique Francine Legault.
« Si le travailleur fait une réclamation à la CNESST et qu’en contrepartie, l’employeur est en mesure d’établir que son environnement de travail est ergonomique, ce sera alors à lui de faire la démonstration que son environnement de travail fait en sorte qu’il pose des gestes de nature pathogène.
Tout cela demeurera toujours une question de fardeau de preuve, qui n’empêchera pas le travailleur de faire une réclamation, et qui n’empêchera pas une lésion professionnelle d’être reconnue. »