Télétravailler à partir d’un autre territoire : les conséquences fiscales pour les employeurs et les employés
Avec la généralisation du télétravail, des employeurs reçoivent des demandes – et même des ultimatums! – de la part d’employés qui désirent s’installer à l’étranger pour télétravailler. Mais ce type d’arrangement implique un changement d’autorité et entraîne des conséquences fiscales importantes qu’il est essentiel de connaître et de prévoir. Isabelle Martin, associée au service de fiscalité au sein du cabinet comptable Mallette, décortique cette éventualité.
La notion d’établissement stable
Pour une entreprise, l’assujettissement à l’impôt sur le revenu d’une autre autorité fiscale est généralement lié à la présence d’un établissement stable. Il faut donc se demander si la présence d’un employé dans un endroit autre que celui qui accueille l’établissement principal de l’entreprise peut créer à cet endroit un nouvel établissement pour son employeur. Et chaque autorité (pays, province, État) établit ses propres critères pour déterminer s’il y a établissement ou pas.
Le Canada a cependant conclu des conventions fiscales avec plusieurs pays, qui viennent trancher le litige en cas de conflit entre les règles de chacun des pays. Ces conventions sont cependant établies au niveau fédéral. Aux États-Unis, par exemple, chaque État a également ses propres règles, et il est bien possible qu’une entreprise soit assujettie à l’impôt d’un État, mais non à celui du fédéral, en raison notamment de la convention fiscale.
En général, le fait qu’un employé conclue des contrats au nom de l’entreprise en territoire étranger de façon régulière et continue suffira à créer un établissement stable pour l’entreprise et ainsi l’assujettir à l’impôt sur le revenu de ce territoire. Il est également important de garder un suivi de l’endroit et du nombre de jours de présence des employés en territoire étranger puisque les critères qui prévalent peuvent également servir à créer un établissement à l’étranger pour l’entreprise.
Autres obligations fiscales à considérer
Déductions à la source
Les conventions fiscales prévoient généralement que le revenu d’emploi est imposable à l’endroit où il est gagné. L’entreprise qui rémunère des employés travaillant à l’extérieur du pays doit donc prélever – en principe – des déductions sur leur salaire.
Des allègements sont parfois offerts, notamment dans le cas où une convention fiscale prévoit des exceptions sur l’imposition d’un salaire dans le pays étranger. Au niveau fédéral américain, par exemple, une demande de dispense peut être faite auprès des autorités fiscales si le revenu d’emploi est inférieur à 10 000 $ US ou que l’employé rémunéré par un employeur canadien ne reste pas plus de 183 jours dans le pays.
Autres responsabilités
Tout ce qui touche à la sécurité des employés qui ne sont pas en télétravail doit s’appliquer aussi à ceux qui travaillent dans un autre territoire. L’employeur est donc tenu de vérifier les couvertures d’assurances, les cotisations aux fonds des services de santé, les ententes de sécurité sociale, etc.
Finalement, la taxe de vente n’est pas à négliger puisqu’elle peut représenter un coût important pour l’entreprise. Encore une fois, des réglementations différentes s’appliquent selon les endroits, d’où l’importance de bien en connaître les subtilités.
Conséquences fiscales pour les employés
La fiscalité personnelle du particulier est basée sur la détermination du statut de résidence.
Chaque pays a ses propres règles pour déterminer si un particulier est considéré comme résident du pays. Il est important de connaître ces règles puisqu’elles détermineront l’assujettissement de la personne à la fiscalité du pays.
En plus des règles propres au pays, il faudra analyser les conventions fiscales conclues entre les pays dans lesquelles un mécanisme est généralement prévu afin de régler les situations de double imposition. Les critères généralement utilisés afin de déterminer le statut de résidence sont les suivants :
- la disponibilité d’un logement
- les relations économiques et personnelles
- l’endroit où l’individu séjourne de façon habituelle
- la citoyenneté de la personne
- une entente mutuelle entre les pays.
Ces critères sont généralement analysés en cascade, c’est-à-dire que si le premier critère ne permet pas de trancher entre les deux pays, on passe à l’évaluation du critère suivant et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une décision.
L’impôt de départ
Attention également à l’impôt de départ exigé par le Canada pour ceux qui quittent le pays pour aller vivre ailleurs.
En effet, sous réserve de certaines exceptions, la législation fiscale canadienne prévoit une disposition réputée de tous les biens appartenant au particulier à leur juste valeur marchande au moment du départ du pays, même si la vente n’a pas réellement eu lieu. Cela peut faire en sorte que la personne ait à déclarer un gain en capital dans sa déclaration de revenus finale.
Bien qu’ils soient valides, les renseignements fournis dans cet article sont forcément incomplets, vu l’étendue du sujet et la grande complexité des enjeux. On peut cependant en tirer certaines recommandations :
- Tant du côté de l’employeur que de celui de l’employé, une collecte de renseignements et une préparation sans faille sont primordiales dans le cas où du télétravail est effectué à l’étranger.
- Compte tenu de la complexité des obligations entourant les déductions à la source des employés en télétravail, les entreprises canadiennes pourraient avoir avantage à recourir aux services de fournisseurs indépendants qui pourront prendre en charge le processus de paye pour ces employés.
- Finalement, même s’il n’a aucune obligation en ce sens, un employeur peut décider d’accompagner son employé en télétravail à l’étranger dans la gestion de sa fiscalité personnelle. L’aider à surmonter les difficultés pouvant survenir au cours de ses démarches peut faire une différence et contribuer à son enthousiasme face à un tel défi.