Télétravail et lésions professionnelles : deux cas concrets de jurisprudence récente

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31 octobre 2022

Arrivée au CPQ en juin 2022, Me Julie Plante est la conseillère principale de l’équipe Travail et affaires juridiques. À ce titre, elle met son expertise juridique au service de son équipe et, plus largement, du CPQ et de ses membres.

Un flou existe parfois autour des accidents de travail à domicile, pour les employés comme pour les employeurs, notamment depuis le début de la pandémie. Comment détermine-t-on que la lésion est survenue à l’occasion du travail ou non? Si elle est admissible ou non à une réclamation?

Pour vous éclairer, Me Julie Plante, conseillère principale – Travail et affaires juridiques au Conseil du patronat du Québec, nous parle de deux décisions rendues par le Tribunal administratif du travail (TAT) en 2021, en lien avec la reconnaissance d’une lésion professionnelle survenant lors du télétravail.

Chute dans l’escalier pendant une journée en télétravail

Air Canada et Gentile-Patti, 2021 QCTAT 5829

Dans cette affaire, une agente à la clientèle qui exerce ses fonctions en télétravail chute dans l’escalier de son domicile alors qu’elle se rend à sa pause dîner.

La CNESST accueille sa réclamation pour lésion professionnelle, ce que l’employeur conteste au motif que la chute de madame Gentile-Patti n’est pas survenue à l’occasion de son travail, mais découle plutôt de l’exercice d’une activité personnelle.

Le TAT conclut que le contexte dans lequel est survenu l’accident de madame Gentile-Patti comporte certaines dimensions faisant en sorte qu’il s’agit d’un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail, et ce, même si au moment des faits elle n’était pas rémunérée, se trouvait dans sa résidence privée et s’apprêtait à effectuer une activité de nature personnelle.

Le TAT retient en effet que si madame Gentile-Patti se trouvait à sa résidence ce jour-là et à cette heure-là, c’est parce qu’elle devait remplir ses obligations professionnelles auprès de son employeur. De plus, c’est à l’intérieur de l’horaire précis et déterminé par l’employeur qu’elle était autorisée à prendre des pauses et du temps pour dîner. Ces pauses faisaient donc partie de l’organisation du travail déterminé par l’employeur.

Le TAT précise à cet égard que sans l’imposition d’un horaire de travail, l’existence de pauses santé ou de pauses repas ne relèverait pas de l’organisation, voire de la connexité avec le travail.

Le TAT souligne également qu’il faut faire la distinction entre l’activité consistant à se nourrir et le fait de se diriger vers cette activité. Dans le cas de madame Gentile-Patti, elle est tombée quelques instants après s’être déconnectée de son poste de travail, pendant qu’elle faisait le trajet pour aller dîner. Sa chute est donc un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail, et non pendant l’activité consistant à se nourrir.

Sur cet aspect, l’employeur a fait valoir qu’il n’a aucun contrôle sur les activités de madame Gentile-Patti à partir du moment où elle se déconnecte de son ordinateur ni sur la tenue des lieux qui relèvent de sa vie privée.

Le TAT a rejeté cet argument, rappelant qu’il s’agit d’un dossier d’indemnisation et non d’un dossier visant à déterminer les obligations de l’employeur en matière de santé et sécurité du travail. D’ailleurs, plusieurs situations ont été déjà été reconnues comme des événements imprévus et soudains survenus à l’occasion du travail alors que l’employeur ne pouvait assurer une gestion du lieu où est survenu l’accident, comme un stationnement dont l’entretien est confié à un tiers.

Chute à l’extérieur du domicile pendant une journée en télétravail

Laverdière et ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (Opérations régionales), 2021 QCTAT 5644*

*Cette décision fait actuellement l’objet d’une requête en révision. Nous vous tiendrons informés des développements.

Dans cette affaire, madame Laverdière, une technicienne en informatique en télétravail, fait une chute dans les marches se trouvant à l’extérieur de sa résidence, alors qu’elle sort prendre sa pause. Elle produit une réclamation pour lésion professionnelle, que la CNESST refuse. Madame Laverdière conteste cette décision.

Le TAT accueille la contestation de la travailleuse et conclut qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle survenue à l’occasion de son travail.

Le TAT retient que l’événement a eu lieu dans une voie d’accès permettant d’entrer sur le lieu du travail ou d’en sortir, ce qui fait partie de l’environnement de travail de madame Laverdière. Il en effet est reconnu qu’un accident qui survient au moment où un travailleur arrive à son lieu de travail ou en repart en empruntant la voie d’accès mise à sa disposition et dont l’usage est raisonnable, constitue un événement qui survient à l’occasion du travail.

Selon le Tribunal, cette approche doit être transposée au lieu de télétravail de la travailleuse, qu’elle occupe depuis que sévit la pandémie de COVID-19, puisque le fait d’être en télétravail n’a rien changé à ses conditions de travail, à son horaire, ni à la possibilité de prendre des pauses. Dès lors, le seul fait d’être en télétravail ne peut compromettre l’admissibilité de la lésion professionnelle.

De plus, les modalités relatives aux endroits où la travailleuse pouvait prendre ses pauses, ainsi qu’aux moments auxquels elle pouvait les prendre ne faisaient pas l’objet de directives particulières de l’employeur. Or, seule l’existence d’une politique est susceptible de prévoir les conditions dans lesquelles doit s’effectuer le travail à distance.

Le TAT rappelle que les pauses santé sont utiles aux employeurs, parce qu’elles sont bénéfiques pour les employés. Il s’agit donc d’une activité connexe au travail, qui fait d’ailleurs partie intégrante des conditions de travail, que la pause soit rémunérée ou non.

Le TAT précise enfin que l’examen du lien de connexité avec le travail ne doit pas porter sur l’activité exercée pendant la pause, mais plutôt sur le contexte dans lequel l’événement s’est produit.

Dans le dossier de madame Laverdière, puisque la chute n’est pas attribuable à un facteur personnel, le TAT conclut à un lien de connexité avec son travail et déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle.

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